À distance et en équipe, peut-on rester créatifs et collaboratifs ?
Condamnés pendant plusieurs mois par les circonstances pandémiques à devoir collaborer à distance, nous avons été nombreux à nous interroger sur l’avenir de nos projets collaboratifs et créatifs en temps de confinement : devions-nous attendre la fin du « trou d’air » pour reprendre le travail d’équipe ? Contraindre les collaborateurs à des heures de visio ? Refuser la collaboration en distanciel au prétexte d’une fatigue cognitive inhérente à la visio et de l’impossibilité à créer du lien ? Accuser la Covid-19 de ruiner notre esprit collaboratif et notre créativité ?
Chez UCD Network, entreprise que j'ai cofondée en 2005, nous avons commencé à inventer nos propres modes de travail collaboratifs et créatifs à distance il y a plus de quinze ans quand la culture professionnelle dans laquelle nous souhaitions évoluer et les collaborateurs avec lesquels nous voulions travailler étaient hors de portée géographique et répartis à travers l'Europe. Nous avons alors conçu notre formule d'agence en réseau œuvrant en "équipe-commando" sur nos projets de conception d'innovation ou de transformation et en mettant en place une série de modalités opérationnelles pour booster notre esprit collaboratif, créatif et expérimentateur en présentiel comme à distance. Voici ce que nous avons appris de notre longue expérience de la collaboration créative pluridisciplinaire à distance et au rythme des évolutions technologiques :
1. L’espace digital repousse les murs et apporte une bouffée d’air frais
Fini la chasse aux salles de réunions qu’il faut réserver, qui sont parfois trop grandes ou trop petites pour le nombre de collaborateurs, souvent aveugles, avec un mobilier massif régulièrement inadapté pour engager une session de travail créatif (pas de paperboard, pas de recharge de papier, de pauvres marqueurs à l'encre sèche…), avec pour seule lumière celle de la présentation powerpoint sur l’écran plat qui défile au rythme des bras croisés des participants calés dans leur chaises.
L’espace de travail digital se compose des espaces de chacun. Et si l’hôte de la réunion a bien pris soin de rappeler les conditions d’un bon environnement – casque, micro, bonne connexion internet, lumière, calme… – chacun peut se mettre à l’aise pour collaborer le plus confortablement possible. Avec un peu de chance, s’offrent encore aux regards des vues imprenables sur un jardin, sur des rues du bout du monde, la neige du grand nord, le soleil du Sud, l’exotisme d’un habitat étranger… On découvre amusés les environnements respectifs, et pouvons spontanément, en un clic, nous retrouver en sous-groupe pour échanger. L’espace se multiple et diminue au gré des besoins ! Et avec quelle facilité ! Les groupes se font et se défont au rythme des objectifs sur une même session de travail. Les murs de post-it s’ouvrent et se ferment, s’agrandissent ; les résultats s’exportent en un clic ! Et la salle projet reste accessible à chacun aussi longtemps que nécessaire !
2. Paradoxalement, la distance nous rapproche
La distance peut créer une plus grande proximité entre les membres de l’équipe. En ligne, on mesure pleinement la chance de pouvoir se retrouver et échanger. Les réunions ne sont plus cette habitude fonctionnelle ancrée dans nos jobs respectifs qui nous a fait si souvent sous-estimer la chance que nous avions de pouvoir nous retrouver ensemble pour contribuer individuellement à l’avancée vers notre but commun. Là encore, affranchis des codes habituels qui régissent les réunions, les échanges deviennent plus profonds, plus authentiques, l’étiquette a peu sa place dans l’empilage aléatoire des vignettes zoom. Le «boss» ne siège plus au centre de la table avec à sa droite son dauphin. La parité trouve plus naturellement sa place. Les avis se sondent aisément (partage d’un geste convenu, d’une emoticon, votes par gommettes…) et même si nécessaire, anonymement !
Face à cette nouvelle modalité que l’on sait plus contraignante pour chacun, on prend soin de nos corps et de nos émotions : durée raisonnable, partage de la « météo intérieure » en début de session pour sonder ses émotions, exercices de respiration consciente pour se rendre disponible, élaboration collective de nos règles du jeu, pauses et étirements réguliers pour éviter les douleurs cervicales, choix individuel de s’installer debout ou assis pour favoriser l’énergie… Ce que l’on oubliait facilement dans le monde physique est devenu une discipline qui fait du bien à chacun et par voie de conséquence à l’équipe et à sa performance.
Et comme cela se passe au cours de nos rencontres en présentiel, il y a toujours ceux qui se connectent plus tôt à la réunion pour échanger quelques nouvelles, prendre la température, et restent après la session pour bavarder… Ces « small talk », qui souvent se poursuivent dans le chat au cours de la réunion, sont le terreau de notre sociabilité en ligne qui, comme la nature dans nos villes, trouve toujours son chemin pour pousser dans les minuscules interstices de l’asphalte.
3. Le droit à l’erreur et la spontanéité s’invitent encore en ligne
Pour notre plus grand plaisir, l'inattendu, véritable booster de créativité, s’invite encore régulièrement dans les sessions de collaboration en ligne ! Un écran qui devient vert, l’audio qui fait des siennes, la connexion qui tombe en rideau, l’irruption des enfants derrière soi, le livreur qui insiste, c’est cadeau ! Profitons-en bien, car il ne nous reste plus beaucoup de temps avant que les grandes organisations ne prennent soin d’aseptiser ce nouvel espace de travail en homogénéisant tous les « backgrounds » virtuels de leurs collaborateurs avec les logos des sociétés respectifs, d’ordonner un code vestimentaire et de « charter » les comportements de leurs collaborateurs à distance. Les lecteurs qui ont connu les débuts d’internet mesurent certainement la chance qui est encore la nôtre : spontanéité, amateurisme, diversité, expérimentation... Bientôt, les animaux de compagnie qui font aujourd’hui notre joie et déclenchent nos sourires lorsqu’ils viennent se lover contre les écrans de leurs maitres et maitresses ne seront plus qu’un beau et lointain souvenir.
4. Un espace protégé pour plus de transparence dans les échanges
Débarrassés des gestes barrières anxiogènes – masques, distance sociale, gel.. – , l’équipe est libre de pleinement s’adonner au travail collaboratif. Elle éprouve un sentiment de sécurité qui lui permet de se rendre disponible à l’autre et à l’objectif créatif commun. Ce sentiment de sécurité aiguise également la perception des comportements de chacun par chacun. La visioconférence, en resserrant notre champ de vision, concentre notre observation et amplifie notre perception de la bienveillance comme de l’indifférence, de la curiosité sincère comme du questionnement feint, de l’écoute comme de l’indisponibilité… Elle demande donc aux collaborateurs, aux managers, aux chefs de projet d’être profondément conscients de leurs comportements, de leurs interactions et de partager clairement leurs attentes, ce qui est important pour eux, leurs incompréhensions mais aussi leurs encouragements et gratitudes…
À distance, les échanges épousent toutes les formes qui font la richesse de nos interactions sociales depuis les bancs de l’écoles : bavardages par chat, échanges de petits mots par sms, correspondance par email, conversations intimes par téléphone ou par vidéo, discussions enflammées en visio… De même, en ligne, les comportements corporels sont lus pour ce qu’ils sont. Par exemple, un manager qui privilégie son smartphone à l’écoute de ses collaborateurs et qui s’affiche régulièrement en train d’écrire un sms ou répondre au téléphone, ne manque pas de perdre en crédibilité quand il est de retour vers les autres pour apporter sa contribution. Un collaborateur qui soudainement recule les bras croisés au fond de sa chaise manifeste son désaccord, un autre qui disparaît dans le contre-jour de sa fenêtre ou sous la ligne de flottaison de son écran révèle qu’il est à cet instant aspiré dans sa réflexion… Tous ces signes participent aux échanges en ligne comme dans les réunions en présentiel. La collaboration créative implique une connaissance de ses besoins et une conscience de soi que les sessions de travail en équipe à distance peuvent fortement accélérer.
5. Une nouvelle opportunité pour gagner en conscience collaborative et créative
Finalement, le travail à distance a bon dos ! Accusé de tous les maux, Il est devenu l’arbre qui cache la forêt. Il n’est pas responsable de notre difficulté à collaborer, à être créatif en équipe, à écouter l’autre, cocréer, expérimenter pour apprendre, à s’aligner autour d’une mission commune. Pour collaborer à distance ou en présentiel, le partage d’un but commun est nécessaire à l’engagement de chacun, la conscience des contributions individuelles et la diversité des compétences cimentent l’esprit d’équipe et le mode projet cadre nos interactions. Quand il s’agit de collaborer et d’être créatif en équipe, l’analogique se combine au digital, le digital à l’analogique et le travail synchrone et asynchrone ponctue le processus collaboratif.
Quand l’objectif est clairement posé, les membres de l’équipe alignés, alors l’équipe à distance invente ses solutions et ses modes de travail : rôles, modalités, calendrier, outils, processus décisionnels… Il est réjouissant d’observer le flot créatif qui jaillit pour s’aligner, explorer, décider, mettre en œuvre ! Les compétences respectives s’additionnent, se complètent… Les outils digitaux reprennent alors la place qu’ils n’auraient jamais dû quitter, celle de simples moyens pour stocker, planifier, visualiser, raconter, partager… Et la réalité augmentée enrichit les partages. En un clic, et quand on le souhaite, il est possible d’accéder à une information croisée il y a des jours, une vidéo, une musique, un dessin, une image, et de la partager… Plus besoin de planifier, d’anticiper, mais la possibilité de jouir pleinement de l’émergence…
Un nouveau champ des possibles pour la collaboration
Depuis le début de la pandémie, chacun a, semble-t-il, choisi son camp pour ou contre le travail collaboratif à distance, plus ou moins librement, plus ou moins en conscience. Heureusement, pour s’en faire leur propre idée, certains ont choisi une troisième voie, celle de la curiosité, de l’expérimentation et de l’apprentissage. Un nombre croissant de collaborateurs qui sortent de nos parcours pour « réinventer leurs propres modes collaboratifs et créatifs en équipe et en multi-environnements » ou « booster leurs confiance créative et collaborative » font le constat suivant : « Ce n’est ni mieux, ni moins bien, c’est différent ! » et « Finalement, concluent les managers, cela va définitivement enrichir notre pratique collaborative en équipe ! » Le champ des possibles pour être collaboratif et créatifs ne cesse de grandir et c’est à nous d’en tirer profit, si on le décide.
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